Abus de biens sociaux ; moyens permettant de combler le passif

Le délit de l’abus de biens sociaux est incriminé par l’article 437 de la loi du 24 juillet 1966 (l’article L. 241-3 du code de commerce). Il concerne les dirigeants de sociétés commerciales de capitaux (sis : SA, SARL, SCPA, SPAS), qui ont fait de mauvaise fois un usage de biens de la société qu’ils savaient contraire à l’intérêt social, soit à des fins personnelles, soit pour favoriser une autre entreprise dans laquelle ils étaient intéressés. Les causes de cette infraction sont très proches du délit de banqueroute (point 3). Les personnes qui peuvent être poursuivis pour abus de biens sociaux sont les dirigeants de droit (comme les personnes physiques), notamment le gérant de la SARL et même les dirigeants de fait (sous réserve d’être aussi personnes physiques).

Le délai de prescription de l’ABS est plus long du fait d’un point de départ plus tardif. Dans une de ses plus récentes décisions la Cour de Cassation a décidé que le délai triennal de prescription de l’abus de biens sociaux court, sauf dissimulation, à compter de la date de présentation des comptes annuels dans lesquels figurent les dépenses mises indûment à la charge de la société, et en cas de la dissimulation, le point de départ de la prescription est fixé au jour où l’abus a été révélé 1. Ainsi, le point de départ du délai de prescription peut être fixé au jour où les faits sont apparus et ont pu être constatés et ont permis d’exercer l’action publique. C’est la jurisprudence dite «des apparitions» 2.

  1. L’abus de biens sociaux commis par un ancien dirigeant au préjudice de la société mise en redressement judiciaire, pendant sa période de gestion.

    a. constitution de l’infraction de l’ABS

    Le délit de l’abus de biens sociaux ne peut être constitué que dans le cas où le dirigeant y aurait participé personnellement.

    Pour cela, en pratique, il est difficile de poursuivre un dirigeant, puisqu’il y a quatre éléments cumulatifs indispensables pour qu’il soit constitué: le dirigeant doit faire usage d’un bien de la société, cet usage doit être fait à des fins personnelles, dans une façon contraire à l’intérêt social et de mauvaise foi.

    • usage des biens de la société

    Le seul usage de bien sociaux de la société, compris comme par exemple un acte de disposition pris par le dirigeant, suffit pour constituer l’infraction de l’abus de biens sociaux. Mais cet usage doit être fait à des fins personnelles.

    • usage à des fins personnels

    Cette notion est plus large que la notion d’enrichissement pécuniaire du dirigeant. Il peut s’agir d’un intérêt matériel, soit moral (à titre d’exemple : de préserver les relations personnelles). Très souvent, la Cour de Cassation édicte la présomption selon laquelle les fonds de la société sont utilisés par le dirigeant dans un but personnel. Cette présomption renverse la charge de la preuve et nuit à la défense. L’usage de biens de la société à des fins personnelles ne signifie pourtant que le dirigeant doit en être le bénéficiaire direct. L’usage de ces biens peut favoriser par exemple l’intérêt d’une autre société dans laquelle celui-ci a des intérêts importants.

    • usage contraire à l’intérêt social

    Deuxièmement l’usage de biens de la société doit être contraire à l’intérêt social. Puisqu’il est difficile de définir exactement une opération contraire à l’intérêt social, les juges du fond se prononcent le plus souvent en fonction des circonstances et ils contrôlent, si les éléments de faits caractérisent suffisamment un acte contraire aux intérêts de la société. Certainement il faut admettre, que un tel acte appauvrit la société ou sort de son objet social. La Cour de Cassation a jugé qu’il s’agit d’un acte qui est sans contrepartie pour la société, qui constitue une charge pour cette dernière, soit qui fait courir un risque anormal de perte ou de sanctions pénales ou fiscales auxquelles elle ne devait pas être exposée et qui portent atteinte à son crédit et sa réputation 3.

    • usage de mauvaise foi

    Enfin, cet usage de biens de la société doit être fait par le dirigeant de mauvaise foi. Ainsi, le délit de l’ABS est un délit intentionnel. Le dirigeant doit agir volontairement et de mauvaise foi. Il faut que le dirigeant ait conscience au jour de l’accomplissement de l’opération, que celle-ci est contrarie à l’intérêt par rapport aux perspectives de la société et il faut qu’il en retire un intérêt matériel soit moral («à des fins personnelles»). Cet intérêt personnel du dirigeant renforce le caractère abusif de l’acte contraire à l’intérêt social. La mauvaise foi du dirigeant est déduite le plus souvent d’éléments matériels (à titre d’exemple: la dissimulation d’une opération menée par le dirigeant, son enrichissement).

    La poursuite pour l’abus des biens sociaux est engagée par le dépôt d’une plainte.

    b. possibilité d’engager la responsabilité civile et pénale du dirigeant:

    La plainte, le plus souvent, est déposée contre X et non contre le dirigeant nommé. C’est notamment pour éviter en cas de non-lieu des poursuites en dénonciation calomnieuse contre les plaignants.Par le dépôt d’une plainte avec constitution de partie civile il est possible d’engager la responsabilité civile de l’ancien dirigeant. La demande de condamnation en réparation civile du dommage causée basé sur le fondement des articles 1382 et 1383 du code civil (responsabilité délictuelle et quasi délictuelle).

    La loi sur le redressement et la liquidation judiciaire prévoit plusieurs possibilités d’engager la responsabilité des dirigeants.

    Leur responsabilité civile peut être engagée lorsque leur gestion fautive est à l’origine de l’insuffisance d’actif : une action en comblement de passif (article L. 624-3 du code de commerce). Ils peuvent être frappés de faillite personnelle, aussi l’extension de la procédure de redressement judiciaire peut être prononcée à leur encontre (article L. 624-5 du code de commerce).

    Leurs fautes plus graves peuvent être sanctionnées pénalement par le délit de banqueroute (lorsque les faits ont eu lieu avant la date de cessation de paiements peuvent constituer le délit d’abus de biens sociaux).

    La jurisprudence admet, que les actions de droit commun et de la loi sur redressement, notamment celle en comblement de passif, ne se cumulent pas. (point 3).

    Parfois, les tribunaux peuvent aussi prononcer une extension du redressement judiciaire ou de liquidation judiciaire aux autres personnes morales, notamment lorsqu’on est en présence de la fictivité de la personne morale ou de la confusion de patrimoines (ex.: lorsqu’une autre société a été créé simultanément pour répartir l’actif de la société mise en redressement judiciaire). Cette extension est faite par une confusion des patrimoines de la personne morale mise en redressement judiciaire et des personnes auxquelles la procédure collective est étendue. Par suite il y a unité de procédure. Toutefois cette confusion des patrimoines n’implique pas la confusion des personnalités juridiques.

  2. Engagement de la procédure pénale.

    a. dépôt d’une plainte avec constitution de partie civile:

    Aux termes de l’article 85 du code de la procédure pénale toute personne qui se prétend lésée par un crime ou un délit peut en portant plainte se constituer partie civile devant le juge d’instruction compétent. Cette plainte produit la mise en mouvement de l’action publique 4.La majorité de poursuites pour abus de biens sociaux résulte d’une constitution de partie civile. Mais en pratique de très nombreuses constitutions n’aboutissent pas et le non-lieu est prononcé. La recevabilité de cette constitution dépend de l’existence du préjudice direct subi par la personne qui dépose la plainte. Ensuite, cette recevabilité dépend aussi de la consignation d’une somme fixée pour prévenir l’action abusive. Mais la plainte déposée permet à la partie civile d’obtenir la condamnation à réparation civile de la personne poursuivie pour l’ABS. Cette réparation peut être en pratique plus efficace que l’action en comblement du passif.

    Mais pas toutes les personnes sont recevables à se constituer partie civile pour poursuivre l’ABS. Que les personnes pouvant justifier un préjudice direct de l’infraction peuvent obtenir cette qualité.

    • le dirigeant de la société

    Premièrement, c’est le dirigeant de la société lésée en tant que le représentant, qui peut se constituer la partie civile. Celui-ci agit au nom de la société qui a subi le préjudice direct et personnel en raison de l’utilisation des bien sociaux de manière contraire à l’intérêt social. Ainsi, c’est la société qui se constitue elle-même, mais agissant par son représentant légal.

    La société est même recevable à se constituer dans l’hypothèse où elle a apporté son soutien au dirigeant mis en examen pour l’ABS 5.

    En pratique, c’est toujours le nouveau dirigeant qui se constitue partie civile au nom de la société.

    • le liquidateur

    Deuxièmement, tout liquidateur de la société peut se constituer partie civile et peut demander la réparation civile. L’article L. 622-9 du code de commerce dispose qu’à partir du jugement prononçant la liquidation judiciaire, les droit et actions du débiteur concernant son patrimoine sont exercées pendant toute la durée de la liquidation pour le débiteur.

    • les associés

    Et troisièmement, ce sont les associés qui peuvent déposer plainte avec constitution de partie civile. Ils peuvent le faire que sous la forme d’action sociale ut singuli, exercée par les associés mais au nom de la société victime 6.

    Dans une de ses plus récentes décisions, la Cour de Cassation a jugé que la dévalorisation du capital de la société ou la dépréciation des titres en raison de l’ABS commis par le dirigeant ne constitue pas un dommage propre à chaque associé, mais le préjudice subi par la société elle-même. Ainsi, les associés sont irrecevables à se constituer la partie civile dans leur intérêt propre contre le dirigeant poursuivi pour l’ABS, mais ils peuvent agir en qualité de mandataires de la personne morale, ut singuli.

    En effet, le rejet de la constitution de la partie civile par un associé seul réside dans les considérations que le préjudice subi par ce dernier est indirect et l’ABS ne semble causer le préjudice qu’à la société elle-même.

    • les créanciers et les salariés

    Cependant, ne peuvent jamais se constituer partie civile les créanciers et les salariés de la société, victime de l’ABS commis par l’ancien gérant. La Cour de Cassation a décidé que ni les créanciers 7, ni les salariés 8 ne peuvent justifier un préjudice découlant de cette infraction et ainsi ils ne peuvent pas obtenir la qualité d’une partie civile. Mais dès lors que la société est en liquidation judiciaire, c’est le liquidateur judiciaire, qui peut se constituer partie civile au nom des créanciers.

    La constitution de partie civile est toujours suivie de la consignation par le versement de laquelle le plaignant acquiert la qualité de partie civile.

    b.

    demande de consignation:

    Lorsque le juge d’instruction constate le dépôt de la plainte avec constitution de partie civile, il fixe, en fonction de ressources, par son ordonnance le montant de la consignation que la partie civile doit verser (article 88 du code de la procédure pénale).

    Cette consignation garantie le paiement de l’amende civile éventuelle dans le cas où la constitution de la partie civile serait jugée abusive ou dilatoire. Elle doit être versée par la partie civile dans le délai fixé pour mettre en mouvement l’action publique.

    c.

    réparation du dommage causée au débiteur:

    La partie civile peut dans sa plainte demander la réparation du préjudice subi du fait de l’infraction poursuivie. Ainsi, dès lors que la société mise en redressement judiciaire se constitue partie civile du chef d’abus des biens sociaux, elle peut demander la condamnation en réparation civile du préjudice qu’elle a subi.

    Lorsque ce sont les associés de la société qui déposent la plainte à son nom, puisqu’ils peuvent agir qu’au nom de la société victime de l’ABS (a), la réparation du dommage qu’ils demandent et qui est éventuellement accordé par les tribunaux tombe toujours dans le patrimoine de la société victime.

    Toutefois, si la société est en liquidation judiciaire, même que le jugement d’ouverture de la liquidation emporte le dessaisissement du débiteur, elle peut se constituer partie civile pour l’ABS, mais que dans le but d’établir la culpabilité de l’auteur de l’infraction et sa plainte peut contenir que l’action à la poursuite de l’action publique sans solliciter de réparation civile (article L. 622-9 du code de commerce).

    Cette condamnation en réparation civile, qui peut être obtenu devant la juridiction pénale, n’est pas exclusive de l’action en comblement de passif engagée à l’encontre du dirigeant. D’après la plus récente jurisprudence de la Cour de Cassation 9 il est possible d’engager les deux actions, l’une après l’autre (3).

  3. Autres moyens permettant de combler le passif.Outre le comblement de passif et l’extension de la procédure de redressement, l’action en réparation du dommage recevable devant la juridiction répressive (la banqueroute ainsi que l’abus de biens sociaux) sur le fondement des articles 1382 et 1383 du code civil peut permettre d’apurer le passif causé par le dirigeant et obtenir des dommages intérêts pour le préjudice subi.Les actions prévues par la loi sur le redressement et la liquidation judiciaire peuvent être appliquées à l’encontre des dirigeants, qui ont été en fonction lors du jugement d’ouverture de la procédure collective. Mais sous certaines conditions la responsabilité des dirigeants antérieurs au jugement d’ouverture peut être aussi retenue. Ils peuvent être condamnés en comblement du passif, le redressement judiciaire peut être ouvert à l’encontre de leur personne et ils peuvent être poursuivis du délit de banqueroute.a. au niveau civil:

    L’action en comblement de passif social est une première action spécifique, qui permet d’apurer le passif en retenant la responsabilité du dirigeant.

    • les conditions de l’action en comblement de passif

    Le comblement de passif est une action, qui permet de mettre à la charge du dirigeant, qui a commis la faute de gestion, les dettes sociales de la société dès lors que le redressement judiciaire ou la liquidation judiciaire fait apparaître l’insuffisance d’actif (article L. 624-1 du code de commerce).

    Ainsi, il y a deux conditions pour engager l’action : constatation de l’insuffisance d’actif et faute de gestion du dirigeant, qui a contribué à l’insuffisance d’actif (il faut un lien de causalité entre la faute de gestion et l’insuffisance d’actif). La faute de gestion doit être antérieure à la date de cessation des paiements, la gestion postérieure ne peut pas donner lieu au comblement de passif. Chaque faute de gestion, même légère, toute imprudence ou négligence peut entraîner la responsabilité du dirigeant.

    • la possibilité d’engager l’action à l’encontre de l’ancien dirigeant

    En pratique le dirigeant peut être condamné en comblement de passif que s’il était en fonction le jour du jugement prononçant l’ouverture de la procédure de redressement ou de liquidation judiciaire. Mais dans certaines cas sa responsabilité peut être retenue même s’il est l’ancien dirigeant et s’il a cessé sa fonction avant l’ouverture de la procédure collective. Ces exceptions sont créées par la jurisprudence.

    Tout d’abord il peut être condamné au comblement de passif dès lors qu’il continue toujours à gérer la société, même qu’il n’exerce plus la fonction de dirigeant. Sa responsabilité peut être toujours recherchée lorsqu’il a été en fonction à la date de cessation des paiements, ou même s’il n’était pas à cette date, mais la situation ayant abouti à l’insuffisance d’actif et entraînant la cessation de paiements a été créée lors de sa gérance 10 ou lorsqu’il existe un lien étroit entre sa gestion et l’insuffisance d’actif 11.

    • l’exercice de l’action en comblement de passif

    L’action en comblement de passif peut être engagée à tout moment de la procédure, quel que soit son issue, la continuation, soit la cession de la société ou la liquidation. Elle peut être introduite par l’administrateur judiciaire, les créanciers (leur représentant : action attitrée), le commissaire à l’exécution du plan, le liquidateur judiciaire ou le procureur de la République. Le Tribunal peut aussi se saisir d’office. Elle se prescrit par trois ans à compter du jugement qui arrête le plan de redressement ou qui a prononcé la liquidation judiciaire.

    Le tribunal détermine seul le montant du passif mis à la charge du dirigeant. Ce dernier peut être condamné à supporter la totalité des dettes sociales, même si la faute de gestion qu’il a commise n’est qu’une des causes de l’insuffisance d’actif et n’est à l’origine que d’une partie des dettes 12.

    Suite à la condamnation du dirigeant en comblement de passif, les sommes qu’il est obligé de verser rentrent dans le patrimoine du débiteur et sont affectées en cas de continuation de la société selon les modalités prévues dans le plan d’apurement du passif. En cas de cession de l’entreprise ou de liquidation judiciaire ces sommes sont reparties entre tous les créanciers en proportion de leurs créances.

    En pratique, l’action en comblement du passif peut être engager après la fin de la période d’observation, lorsque le plan de redressement est en cours ou lorsque la liquidation judiciaire est prononcée. En cette étape il est possible de constater l’apparence de l’insuffisance de l’actif.

    b. au niveau pénal:

    Si on parle du moyen permettant de combler les passifs causés par l’ancien dirigeant au niveau pénal il s’agit de la possibilité de demander la condamnation en réparation civile (sur le fondement des articles 1382 et 1383 du code civil, la responsabilité délictuelle) par la constitution de partie civile au pénal. Le comblement du préjudice causé est lié avec l’engagement des poursuites pénales soit pour le délit de banqueroute ou pour l’ABS.

    • constitution du délit de banqueroute

    Tout dirigeant de droit ou de fait d’une personne morale ayant une activité économique peut être poursuivi pour le délit de banqueroute à condition qu’une procédure de redressement judiciaire ou de la liquidation judiciaire soit ouverte à l’encontre de l’entreprise (article L. 626-1 du code de commerce).

    L’article L. 626-2 du code de commerce retient cinq cas de banqueroute et chacun d’eux constitue un délit distinct : avoir dans l’intention d’éviter ou de retarder l’ouverture de la procédure de redressement judiciaire, soit fait des achats en vue d’une revente au-dessous du cours, soit employé des moyens ruineux pour se procurer des fonds; avoir détourné ou dissimulé tout ou partie de l’actif du débiteur; avoir frauduleusement augmenté le passif du débiteur; avoir tenu une comptabilité fictive ou fait disparaître des documents comptables de l’entreprise ou s’être abstenu de tenir toute comptabilité, si celle-ci est obligatoire; avoir tenu une comptabilité manifestement incomplète ou irrégulière.

    Le délit le plus proche de l’abus de biens sociaux est celui de la banqueroute par le détournement de l’actif de la société. Les faits permettant de qualifier les deux infractions et de poursuivre le dirigeant sont pratiquement identiques. Pour cela il est important de ne pas confondre ces deux infractions.

    • frontière entre l’ABS et la banqueroute par détournement d’actif

    Le délit de banqueroute par détournement d’actif suppose pour être constitué à l’égard d’un dirigeant, l’existence d’une dissipation volontaire d’un élément du patrimoine d’une société en état de cessation des paiements. L’ABS suppose l’usage de biens de la société dans l’intérêt contraire à celui de la société. Les deux sont pratiquement identique.

    Le premier critère est le temps dans lequel le détournement d’actif de la société est apparu: avant ou après la date de cessation des paiements. Dans la jurisprudence la qualification de la banqueroute est cantonnée à la période postérieure à la date de cessation des paiements 13. Le délit de banqueroute suppose aussi toujours l’ouverture de la procédure de redressement ou liquidation judiciaire. Toutefois, il est aussi admis dans la jurisprudence que le juge répressif a le pouvoir de retenir, en tenant compte des éléments soumis à son appréciation, une date de cessations de paiements autre que celle fixée par la juridiction civile 14.

    Le délit d’abus des biens sociaux est plus vague que celui de la banqueroute par détournement d’actif: la banqueroute suppose toujours un acte de disposition alors que l’ABS inclut aussi les autres actes, par exemple l’usage irrégulier des biens de la société. Ainsi, il faudrait savoir si la banqueroute après la date de cessation des paiements exclue la qualification de l’ABS. La réponse a été donnée par la Cour de Cassation qui a jugé que l’application de la qualification de banqueroute par détournement d’actif n’est obligatoire que dans le cas de concours de deux qualifications, et à défaut l’abus de biens retrouve sa place 15.

    En conclusion, les éléments constitutifs de deux qualifications : l’ABS et la banqueroute par détournement sont assimilées et confondus dans l’incrimination plus vaste de l’ABS.

    • constitution de partie civile

    La juridiction pénale peut être saisie par voie de constitution de partie civile de l’administrateur, du représentant des créanciers, du représentant des salariés, du commissaire à l’exécution du plan ou du liquidateur (l’article L. 626-16 du code de commerce). Le créancier seul n’a pas le droit de se constituer partie civile pour demander la réparation du préjudice collectif subi par l’ensemble des créanciers ni la réparation du préjudice résultant de l’inexécution du contrat conclu entre le créancier et débiteur en redressement. Il ne peut le faire que pour appuyer l’action publique déjà engagée sur le fondement du délit de banqueroute 16.

    En cas de la banqueroute par détournement d’actif il est aussi possible de demander les dommages intérêts devant la juridiction répressive. La jurisprudence admet que le montant doit être calculé non sur l’insuffisance d’actif qui peut résulter pour la procédure collective mais sur la valeur de bien détourné 17.

    c. possibilités d’engager l’action au niveau civil et pénal à la fois:

    Quant aux possibilités d’engager plusieurs actions à la fois il faudrait envisager les hypothèses de deux actions au niveau civil à la fois : l’action en comblement de passif et l’action de droit commun (article 1382 et 1383 du code civil) par la constitution de partie civile, la double poursuite du dirigeant au niveau pénal : pour l’ABS et la banqueroute, si l’accomplissement de deux peut être constaté, enfin la possibilité de poursuivre le dirigeant au pénal et civil à la fois (pas d’application de la règle que le pénal tient le civil en état).

    • l’abus des biens sociaux et la banqueroute:

    Quant à la possibilité de poursuivre le dirigeant au niveau pénal pour les deux infractions si elles sont constituées, l’ABS et la banqueroute, il est une règle pénale que la même personne peut être poursuive pour les mêmes faits qu’une seule fois. Ainsi, une seule qualification peut être retenue.

    La doctrine admettait parfois que ces deux incriminations protègent des intérêts différents: ceux des créanciers et ceux des associés et ainsi les mêmes faits peuvent constituer le cumul idéal de ces deux incriminations. Ces controverses ont été résolus par la Cour de Cassation qui a récemment jugé, que les qualifications d’abus des biens sociaux et de banqueroute sont exclusives l’une de l’autre 18 et si les faits poursuivis ont été commis après la date de cessation des paiements seule la qualification de banqueroute peut être retenue.

    • l’action en comblement de passif et l’action civile de droit commun:

    Quant au cumul des actions en responsabilité de droit commun et l’action du droit des procédures collectives à la fois, la jurisprudence a beaucoup évoluée.

    D’abord elle admettait qu’il est impossible de poursuivre doublement le dirigeant: par l’action en comblement de passif (l’article L. 624-1 du code de commerce) et par l’action en responsabilité civile des dirigeants du droit commun (l’article 1382 et 1383 du code civil). La Cour de Cassation dans deux arrêts de 1995 a décidé du non-cumul de l’action en comblement de passif et des actions de droit commun 19. Ces deux arrêts allaient plus loin: il était possible d’admettre, qu’en matière d’action en responsabilité contre le dirigeant d’une entreprise qui se trouve en difficultés, ils interdisaient les actions de droit commun au bénéfice de la seule action en comblement du passif, qui restait une action spécifique. Cette règle du non-cumul des actions au niveau civil était comprise comme impossibilité de les engager à la fois: soit le demandeur se plaçait sur le terrain du droit commun et ainsi il dérogeait au profit de l’action en comblement de passif du droit des procédures collectives, soit il choisissait l’action en comblement de passif et alors il ne pouvait par la suite invoquer les actions de droit commun.

    Cette jurisprudence a changé en 2000, pour admettre finalement qu’il est possible de poursuivre le dirigeant en comblement de passif et d’engager à la fois l’action en réparation civile de droit commun devant la juridiction pénale 20.

    En espèce c’était le dirigeant qui a été pénalement condamné pour abus de bien sociaux et à la réparation civile au profit d’une société débitrice. Le liquidateur judiciaire a introduit contre le même dirigeant l’action en comblement de passif devant le tribunal de commerce. Or, depuis l’arrêt du 29 février 2000, tel cumul des actions civiles est recevable: d’abord l’action du droit commun (article 1382 et 1383 du code civil) puis l’action en comblement de passif spécifique pour les procédures collectives. La Cour a admis, que chacune de ces actions est distincte et exercée dans le cadre juridique différent: la première est du droit commun de la responsabilité et la deuxième et dérogatoire à ce droit commun, des procédures collectives. Ainsi, grâce à cette jurisprudence il est possible d’obtenir, à part de la réparation par la voie de comblement de passif, la condamnation à la réparation civile en pénal.

    • l’action en comblement de passif et les poursuites pénales:

    Enfin, en ce qui concerne la possibilité d’engager l’action en comblement de passif (action civile) et les poursuites pénales pour l’abus de biens sociaux, ou la banqueroute, à la fois, la règle principale de droit pénal que le pénal tient le civil en l’état ne s’applique pas. La jurisprudence admet que «l’action pénale en cours contre le dirigeant pour abus des biens sociaux ou banqueroute n’étant pas de nature à exercer une influence sur l’action en comblement de passif, le juge saisi de cette dernière action n’a pas à surseoir à statuer» 21.

1. C. Cass. soc. 10/04/2002
2. C. Cass. crim. 10/08/1981
3. C. Cass. crim. 16/12/1975 et C. Cass. crim. 27/10/1997
4. elle a les mêmes effets qu’un réquisitoire du procureur de la République
5. Cour de Cassation Crim. 16/02/1999
6. Cour de Cassation Crim. 13/12/2000
7. Cour de Cassation Crim. 27/06/1995
8. Cour de Cassation Crim. 7/03/2000
9. Cour de Cassation 29/02/2000
10. C. Cass. Com. 4/02/1969, 8/05/1979, 13/02/1974
11. C. Cass. Com. 6/03/1979
12. C. Cass. com. 30/11/1993
13. C. Cass. crim. 27/10/1999: «le détournement de biens sociaux qui intervient après la date de cessation des paiements de la société constitue le délit de banqueroute et non celui d’abus de biens sociaux»
14. C. Cass. crim. 18/11/1991
15. C. Cass. crim. 18/06/1998
16. C. Cass. crim. 6/01/1992
17. C. Cass. crim. 13/03/1995
18. C. Cass. crim. 27/10/1999
19. C. Cass. 11/04/1995 et 20/06/1995: «lorsque le redressement d’une personne morale fait apparaître une insuffisance d’actif, les dispositions qui ouvrent une action en paiement des dettes sociales à l’encontre des dirigeants de droit ou des faits en cas de faute de gestion ayant contribué à l’insuffisance d’actif, ne se cumulent pas avec celles des articles 1382 et 1383 du code civil; qu’il s’ensuit que le liquidateur est irrecevable à exercer contre le dirigeant à qui il impute des fautes de gestion l’action fondée sur les deux derniers textes précités en réparation du préjudice des créanciers résultant de l’insuffisance d’actif»
20. C. Cass. com. 29/02/2000
21. Cour d’Appel Versailles 4/05/1995, Cour de Cassation com. 14/03/1995

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